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Visage averse

Nous n'avions que cela pour exister encore. Une fois la nuit complice venue, nous sortions de nos caches, des intestins de la ville où l'on nous avait poussés, repoussés, depuis longtemps déjà, depuis tellement de temps que certains d'entre nous y étaient nés, n'avaient jamais vu la ville, son dessus, et pensaient même qu'elle n'existait pas, était un rêve, une sorte de conte. Discrets, muets, nous commencions alors à tatouer nos visages dessus les murs, les vitrines, sur tout ce qui se laissait approcher, accrocher par les traces que nous voulions y laisser. C'était très long. C'était dangereux. C'était, sans doute, inutile, puisque ces visages, les nôtres, semblaient se fondre aussitôt dans les limbes, comme s'ils avaient été avalés, digérés. Nous persistions. Nous n'avions plus que cela. Quand l'aube nous délogeait, nous retournions silencieusement dans les dessous, nous nous fondions dans la graisse de la terre. Là-haut, la pluie léchait nos traces, ce que nous avions pu laisser de peau - à croire qu'elle voulait se souvenir du goût de nos sueurs.