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Cheval fou

... que nous nous décidâmes, finalement, à enterrer, parce que cela nous semblait la solution la plus prudente, la plus logique (le monde cette fois semblait courir définitivement à sa perte, et nous voulions, au moins, en sauver quelques traces, des témoignages à destination de nous ne savions pas qui puisqu'assurément, cette guerre serait la dernière, pas des guerres, mais de l'histoire, de la nôtre, de celles des humains, qui allait sans doute se finir là, maintenant, ce qui faisait qu'il y avait fort à parier que personne, jamais, ne serait en mesure de redécouvrir ce que nous cachions partout où nous le pouvions, dans les caves, sous les planchers, dans le double-fond des tiroirs ou, comme là, dans les jardins publics où nous nous retrouvâmes bientôt des centaines à creuser d'immenses fosses dans lesquelles nous déposions ce que nous avions de plus cher, de plus beau), mais se révéla une tâche ardue que nous commençâmes sans nous douter qu'il nous faudrait tout le jour pour que le cheval enfin disparaisse de la surface de la terre et commence à s'enfoncer en elle, à y trouver refuge - l'animal, de fait, continuant à nous résister tout du long, se cabrant follement, tentant de nous frapper de ses sabots que nous sentions, quand ils nous frôlaient, plus durs que la pierre et cherchant sans le moindre doute à nous tuer, ce qui finalement nous faisait rire (que risquions-nous en fait, nous étions déjà morts, et toutes, et tous, depuis longtemps, et ce que nous faisions en ces jours n'était qu'occuper, un peu, le sursis que le hasard et la désolation nous laissaient) cependant que nos efforts se poursuivaient sans trève, ne cessaient pas - nous ne savions pas qu'ils ne cesseraient pas, que nous resterions pour l'éternité figés dans cette posture, coincés dans un recoin du temps d'où l'on viendrait nous tirer, bien plus tard, quand tout cela serait terminé et qu'il s'avérerait qu'en fait d'apocalypse, la nôtre était ratée.