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Toi

Ce texte lu

(origines)

Et toi les mains posées à plat bien posées bien à plat regardant au-dehors ou au-dedans regardant quoi ce qui reste de toi que tu parviens encore mais à grand peine à voir à deviner dans ce brouillard dans cette pluie quoi toi ? ce serait quoi le soir le crépuscule il aurait plu mais tout le jour tellement même que peut-être là-bas on aurait commencé à craindre pour les berges pour les maisons au long du fleuve pour les fragiles les digues protégeant la vieille ville et toi dans cette ville dans cette vieille ville dans ta boutique tu aurais senti comme une peur montant avec l'eau cette vieille peur celle qu'ont les hommes des fleuves fous et alors n'y tenant mais plus tu te serais levée pour essayer de voir dehors si ça tenait si l'on voyait devinait le futur si ça tiendrait mais les averses rendaient le monde gris noir et blanc et là-dedans plus rien à voir plus rien à faire qu'attendre... ou alors non...

il aurait plu mais tout le jour et toi errant de par les rues tu aurais fui mais tout le jour et sans vraiment savoir quoi sans réellement comprendre quoi te laissant aller dans la masse sans but ni loi sans destinée et allant là et revenant et puis vers là et puis ici et puis le soir sans te comprendre sans savoir bien ce qui t'appelait tu te serais collée à l'une des vitres de la brasserie regardant là cherchant dedans tu ne savais quoi peut-être bien ta propre histoire une autre toi sagement posée attablée avec mari et puis enfants et puis quoi donc une vie sans plis... ou alors non...

il aurait plu mais tout le jour et tu n'aurais mais pas bougé pas un seul doigt pas un mouvement de tout le jour demeurant là assise au sol à regarder le mur sans fin et du dehors et du dedans et te disant qu'il fallait que quelque chose change que quelque chose advienne enfin et dans ta vie et dans le monde qui fasse basculer ton dedans que tu puisses donc fermer ça et ces gouffres en toi grands ouverts (comme des gueules) et pour cela il te fallait ne pas bouger ne pas bouger jusqu'à ce que le monde enfin puisse se fermer se refermer et puis voilà il a donc plu mais tout le jour et puis juste là à un moment tu ne sais pourquoi c'est le moment tu te relèves et tu t'avances jusqu'à la baie la baie vitrée si lisse si belle si vitrée tu poses tes mains mais bien à plat pour bien sentir une part du monde et grands ouverts tes yeux ouverts tu examines ton horizon et de là-haut de tes étages tu entreprends de dénombrer chaque lumière chaque reflet de cette ville-là qui là en-bas offerte toujours commence à peine à s'endormir du sommeil lourd des bêtes repues et tu ne sais quand ça s'arrête si ça s'arrête mais il te semble que s'il manque une seule lueur tu iras mieux tu seras mieux... ou alors non...

il aurait plu mais tout le jour et tu aurais fini ta course dans le métro ta tignasse brune encore humide et décoiffée tu te serais jetée dans la première des rames passant et comme chaque soir et comme chaque jour à chaque station tu aurais dans le ventre des foules guetté mais quoi juste un regard juste un sourire l'ombre des arbres l'ombre des sables ce qui au coeur de nos lumières demeure sombre inachevé comme indompté tu aurais vu la masse sauvage de nos espoirs et de nos rêves l'ombre des morts et des vivants ce qui autour nous dessine – et toi dedans comme épinglée, animal triste.