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Peine des hommes

Parce qu'il fallait ainsi faire un détour pour mieux les voir et nous aussi et saisir là mais bien trop tard la peine et la fatigue et puis pour dire mais bien trop tard encore ce que nous leur devons que cette parole que nous portons est celle qu'ils ne pouvaient tenir étouffés par le temps les jours le bruit immense du labeur des heures la sourdine des muscles des os des chairs que tout cela étreint use finit par mettre à bas du dehors du dedans sous nos regards dans nos souvenirs nous les enfants de ceux qui n'eurent pas de parole comme s'ils n'avaient pas eu de bouches de lèvres de poitrines pour pousser l'air comme si leurs plaintes avaient été fondues dans des creusets ceux qu'ils maniaient s'étaient évaporées au fond des mines le long des routes le long des aubes le long d'eux-mêmes comme si nous recueillions seulement maintenant cet alcool-là quelque chose de leur sueur pour le porter nous ne savons où mais là où ils n'allèrent jamais ne posèrent jamais les pieds n'élevèrent jamais la voix nos pères les pères de nos pères la longue cohorte dont nous sommes à présent dépositaires, nous héritiers.

sur Atelier 62, Martine Sonnet,
Ed. Le temps qu'il fait