Aller au contenu principal

Gravats (1)

Gravats, amas que nous laissâmes derrière, de ville, de ce qu'il demeurait de ville, autant dire rien, autant dire plus rien qui puisse porter, gagner le nom de ville, là où ce qui restait était amas, de pierres, de bois, de  bitumes labourés, de poutres fumantes dressées dessus les cieux et y pointant comme doigts accusateurs, recroquevillés, et noirs, si noirs, sur le ciel devenu de suie aussi, caché à nous par tous les incendies, les feux allumés de toutes parts on ne savait par qui, et puis aussi par nous, et puis aussi par qui ? et encore pierres, entassées sagement pourtant le long de ce qui resterait le tracé de nos rues, là empilées comme si quelque géant avait pris soin de ramasser tout à la ronde ces milliers de cailloux, de blocs de pierres, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive qu'il s'agissait des restes de nos maisons, de nos immeubles, de nos écoles, et donc de pierres non pas glanées mais juste, oui juste, là effondrées, tombées sur elles-mêmes, écroulées simplement ; et donc par qui, tout cela par qui ravagé, détruit, totalement réduit à rien, à ces seuls tas de rien dessous lesquels peut-être, dessous lesquels sans doute, étaient nos rêves, et nos enfances, et nos sourires, et les photographies que nous avions tirées de cela, qui témoignaient de ce que nous avions été heureux, et jeunes, et pleins de vie et puis de rires alors que là, et vieux et lourds et lents et même blessés parfois et puis errants dans le dédale des lieux où nous ne reconnaissions rien, nous marchions sans parler, sans même pleurer, à la recherche de quoi, quelques lambeaux de nous, nos souvenirs, ce qu'il restait de nous, amas, amas.