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Guetteurs de l'ombre

En attendant, en attendant cette heure que j'espère voir tout de même, même si les jours qui passent m'enlèvent chaque soir un peu de chances ; en attendant nous étions là, à parcourir ces quelques kilomètres bordés de bois, persillés de mares glauques et noires et puantes comme nos bouches ; lacérés de sentiers que nous connaissions tous bien mieux que le fond de nos poches où pourrissaient des miettes, des écorces de fruits, des morceaux de tabac, des choses dont nous ne savions pas, en les tirant de là, ce qu'elles avaient été avant, avant de sombrer dans l'oubli ; coupés en deux, en plein milieu, par une route, une sorte de route sur laquelle ne passaient que le vent et la pluie, et rarement, plus rarement, quelque vagabond dont il arriva que nous les fîmes passer plus vite, sortir de la vallée en courant, parce qu'ils avaient quelque chose dans l'allure qui déplaisait, nous déplaisait, et que cela suffisait largement pour que nous sortions les fourches, les bêches, et les chassions comme nous savions le faire depuis longtemps, la nuit des temps sans doute, à coups de pieds, de poings, à grands renforts de crachats qui les lavaient, au moins, au moins cela.

Guetteurs de l'ombre, extrait