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Tombeau #9

Je me souviens du dernier jour du collège, de la dernière fois que j'en ai franchi les grilles, du sentiment que ça donnait de tomber dans un vide qui était un futur et dont on voyait bien, au moment de sauter, qu'il n'y avait nul fond sinon la fin des temps, la nôtre en tous les cas, on verrait bien pour celle des temps, ça ne nous tenait pas vraiment lieu d'inquiétude alors que nous, forcément, si : les autobus garés le long du trottoir vide l'étaient tout autant et nous dedans tant rares assis nous regardions depuis le fond du bus les places du fond celles des caïds enfin disparus et dont nous occupions conquérants sans risques les sièges froids la longue enfilade de dossiers et là-bas le chauffeur qui tout ce temps n'avait été qu'un dos, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il avait de visage, je n'ai souvenir d'aucun visage ce jour-là et du tien encore moins, je suis presque certain que tu ne venais plus depuis un moment t'ennuyer dans les salles de classe où sans doute tu as toujours eu l'impression que tu n'y avais rien à faire, je me demande comment tu as occupé cet été-là, celui avant le lycée qui probablement n'était pour toi qu'un été de plus puisque de lycée il n'y aurait pas, en tous les cas, pas dans celui où je suis passé et pas non plus, je le sais, dans l'autre où allèrent presque tous ceux, celles, qui avaient été de mes classes, ce qui fait que le lycée cette rentrée-là s'avéra un nouveau monde à découvrir mais dont tu n'as jamais eu la moindre idée, pas de ce que j'ai pu t'en raconter puisque c'est là, à ce moment-là, que la grande barrière a commencé à monter entre toi et puis moi et que chacun de son côté, nous avons cessé de distinguer l'autre devenu soudain seulement une impression une vague silhouette et puis un vague souvenir et puis plus rien, même pas un visage sur les photos de fin d'année qu'on retrouve parfois au fond des tiroirs et qu'on ne regarde pas, il y a bien trop de temps tartiné là-dessus.