Tout avait l’air parfaitement éteint maintenant. Il faut dire que nous avions copieusement pissé partout pour mettre fin aux flammes, tellement pissé que plus une goutte ne nous sortait quand bien même nous serrions les dents pour nous forcer. Bon, tous n’avaient pas participé à l’arrosage, vous savez bien, la pudeur de certains, de cet âge-là mais tout de même, ça suffisait, on le voyait, on le sentait, plissant le nez sous l’odeur un peu forte, mélange de suie et d’urine fraîche, s’élevant en drôles de fumerolles qui nous faisaient paraître sans doute, de loin, dans la fumée, comme des druides occupés à leurs tâches mystérieuses, dansant dans l’air presque liquide.
Je dis de loin parce que sans doute, et cela se confirmerait ensuite, là-bas, dans les maisons alignées le long de la mauvaise route qui tirait son ennui jusqu’ici, on devait nous voir, nous surveiller depuis derrière les rideaux qu’il nous semblait toujours repérer bougeant un peu partout où l’on traînait nos guêtres, nos idées absurdes, les jeux que nous inventions avant d’en oublier, parfois dans la seconde, les règles. Partout, vraiment, il y avait des yeux, à tout moment du jour, de la nuit, où que l’on soit, y compris quand c’était dans les confins du ban et quand autour, il n’y avait que des champs à perte de vue, de vagues haies comme des cheveux mal coiffés, et rien pour s’y cacher, apparemment.
Quoi qu’il en soit, nous avions pissé même dans les recoins, dessous l’auge restée depuis longtemps vide comme tout et où baguenaudaient des araignées énormes, ou dans le fond, là-bas, où les mêmes bestioles tissaient des toiles dans lesquelles on avait peur de rester piégés à l’image des papillons, mouches, guêpes, insectes de toutes formes et tailles, y mourant doucement. On en riait entre nous mais tout de même, ces voiles haut de deux mètres et gris, dense à croire que c’était du tissu, ça donnait pas envie d’aller plus loin alors on s’était contenté de juste pisser dessus, pour se venger. Les araignées s’en fichaient bien. Nous aurions à peine le dos tourné qu’elles viendraient rapiécer leurs pièges, en retisser les mailles parfaitement ajustées. Il n’y a pas plus patientes que ces bestioles-là, je le sais bien, moi qui demeure des heures à les regarder dans l'attente.
Cliché : matches and sticks par Dániel Z. Aczél