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Cinquante #36

Je cachais les disques pochettes rouges ors et noirs à côté au rayon classique, dans les jaunes Grammophon, cet autre monde en vrai, ses pianistes coiffés, ses violons queue de pie, les affreux chevelus poitrails au vent là-dedans je planquais après avoir maté l'étiquette au revers, ce qu'elle portait du prix qui était même le rêve, des quinze francs je crois d'ici, une fortune, la cachette donc logique pour gagner temps d'amasser toute la somme noire grasse, je voulais que m'attendent dans le jaune les pouilleux, ils y restaient parfois mais d'autres fois, à revenir quasiment riche je ne les trouvais plus, et jamais d'exemplaire de secours, il n'y avait pas de double, vraiment trop peu de ventes pour en stocker de deux alors prendre autre chose, faire parfois son choix sur le seul indice flou que devenait un carré tout carton, du jazz je n'en ai jamais vu et c'est le Bird, le film, qui m'ouvrirait les yeux, autour aussi il y avait quelques livres de poches, c'est là qu'on achetait petit les bibliothèques roses et puis vertes, les Langelot, les Six compagnons que j'appelle toujours Sept et pour le reste, quel intérêt, le long pensum des courses du mercredi à compter chaque sou et à se dire pourvu qu'il soit toujours là la prochaine fois, le disque rond vinyl noir, la folie la fureur.

De disques il n'y a plus et de chevelus pas plus, je n'y vois même pas le plus minuscule livre, le magasin se vide qui sans doute va fermer, j'y pense en regardant les carrelages gris fatigués quand je pousse un caddie parce que c'est la routine depuis des siècles au moins, ils ont enlevé déjà la station-service blanche d'avant et même que le gars dans sa boîte de verre qui attendait toute la journée avait été avec moi au collège, je le sais vendre toujours de l'essence plus haut mais c'est la concurrence, dessus c'est ce ciel gris qu'on dirait diapason, le nom je ne sais plus si c'était bien le même, le gris n'a pas changé, c'est celui de l'attente.