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Terreurs

C'est un souvenir confus dans une époque confuse qui me remonte parfois comme venant des abysses — je voulais écrire ça et c'est ce mot d'abysses qui est venu tout seul faire le lien à aujourd'hui, je le sais sans le taire, c'est l'aujourd'hui violent qui rameute celui d'hier et ces morceaux de temps, l'étoupe de ma mémoire, ça s'effiloche déjà, j'en perds le fil de moi, j'essaie de me reprendre, c'est un souvenir confus, je suis haut comme ça, le monde est une menace, on entend chaque jour dans la radio parler de meurtres, je ne comprends trop rien, on parle d'Italie, on parle des Allemands, on parle de la France, je comprendrais plus tard, plus tard c'est maintenant, que je suis en plein dans les années de plomb, que les noms clinquants, brillants, menaçants comme du sang séché, Action Directe, les Brigades Rouges, la Fraction armée rouge, sont ceux de groupuscules terroristes, que ces visages qu'on voit dans les journaux, ces hommes, ces femmes, sont des tueurs, que tout cela n'a rien, vraiment, d'un jeu et d'ailleurs là déjà, dans ce temps-là, nous savions bien que personne ne jouait, les parents répétaient, ne parle jamais aux inconnus, ne monte pas dans une voiture sans nous, c'était le temps aussi du pull over rouge et celui de Patrick Henry, j'étais haut comme ça, et j'avais peur tout le temps — je me souviens de ça, de la peur des jours, de cette confusion, c'est une boule dure comme un souvenir mort.