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Givre #3

Certaines années la neige venait haut comme cela. On la sentait arrivant des forêts avec son souffle court, son souffle de bête ventre à terre, on devinait qu'elle respirait à travers les sous-bois noirs griffés, on croyait presque deviner une silhouette entre les rameaux secs gelés, tout le monde attendait, elle commençait toujours sa danse par surprise et puis lentement et puis elle se précipitait et vite on ne voyait même plus le bout de ses pieds recroquevillés, son propre nez, on avalait ce qu'elle nous crachait dans la bouche, on se tournait le dos au vent pour pouvoir la regarder et l'on ne voyait rien, tout déjà était lisse, le monde avait été gommé, nous était illisible, il ne restait qu'à retourner dans nos maisons à basses fenêtres et à dormir si l'on pouvait, le lendemain plus une route ne mènerait nulle part, on passerait le jour derrière les vitres à écouter ce bruit tout blanc et à guetter les chasse-neiges passant enfin en découpant dans l'univers plat des tranchées lisses comme des feuilles où l'on irait courir après, les toits des voitures en émergeraient à peine et nos bonnets aussi et en allant entre ces murs il fallait même plisser les yeux tellement le soleil les rendait brillants ce qui n'empêchait pas d'énormes corneilles de se moquer de nous perchées tant haut dans leurs arbres sévères que nous ne parvenions jamais à les atteindre, nos boules fondaient avant ou bien, nous visions mal — les gants de laine détrempés n'aidant pas réellement à la manoeuvre.